Article original in Kendo World Journal 1.1 – 2001.   www.kendoworld.com
L’historique du bôgu  par Nakamura Tamio

Actuellement, le terme japonais officiel employé pour faire allusion à l’armure utilisée en kendo n’est pas « bôgu », mais « kendôgu». Néanmoins, le terme bôgu est encore celui qui est le plus communément employé et c’est celui dont je me servirai dans cet article.

Avant d’examiner l’historique du bôgu/kendôgu,
je donnerai en premier lieu une explication de ces termes et de comment ils en vinrent à être employés.

Origine des termes.

Il n’y a pas de réelles archives indiquant que le mot bôgu ait jamais été utilisé pendant
l’ère Edo (1600‐1867). D’autres expressions telles que dôgu, bugu, takegusoku
entre
autre étaient employées pour faire allusion à l’armure destinée à l’entraînement martial.
La première fois que le terme bôgu vint à être employé fut durant l’ère Meiji (1868‐
1912) par les militaires, lorsque l’armée japonaise fut remodelée suivant le système
français.
En 1884, un conseillé militaire français, Kiehl de Villaret [Il y a ici une erreur : il s’agit en
fait de deux personnes différentes, Joseph Kiehl et Etienne de Villaret, tous deux
membres de la Troisième Mission Militaire Française au Japon, 1884‐1889], fut invité
afin d’instruire les forces armées japonaises dans les techniques françaises d’escrime et
de baïonnette. En 1889, après qu’il eut accompli sa tâche et quitté les rivages du Japon,
les forces armées furent réformées en profondeur et le Kenjutsu kyohan (manuel de
technique d’escrime) fut rédigé, décrivant la méthode officielle japonaise du maniement du sabre. Ce manuel était divisé en sections couvrant kenjutsu, guntôjutsu (le sabre réglementaire militaire) et jûkenjutsu (techniques de baïonnette).

Dans le texte, il est stipulé que « l’équipement de jûkenjutsu peut être divisé en 2 catégories, l’arme et le bôgu ». En outre, « le bôgu consiste en un men, un dô (avec tare attaché), une protection d’épaule et un kote » ; ce qui en fait la première référence connue du terme bôgu. Il semblerait qu’à l’époque où les soldats japonais commencèrent leur entrainement en escrime et baïonnette à la française, le mot bôgu dériva de bôshinyôgu (équipement de protection pour le corps).
Le Kenjutsu kyohan fut révisé trois fois, et devint graduellement plus orienté vers
l’équipement et les techniques traditionnels japonais. Après la troisième révision en
1915, l’armure portée lors de l’entraînement au style particulier de kenjutsu des forces armées, avait généralement un dô pourvu d’un tare attaché, mais il était encore permis d’utiliser une armure du type de celle employée dans les cercles de kendo conventionnel « non militaire ». Finalement, le terme bôgu, qui se rapportait originellement à l’armure utilisée pour le kenjutsu militaire, désigna également l’équipement utilisé pour le kendo « normal ». A partir des années 1920, le mot bôgu vint à désigner un set d’armure de kendo comprenant un men, des kote, un dô et un tare. Cette tendance continua dans la période juste après la guerre, lorsque le kendo fut banni un certain nombre d’années par le GHQ (le Commandement des Forces Alliées) et fut remplacé par une variante « sportifiée » moins agressive d’escrime appelée shinaikyôgi, qui utilisait d’ailleurs une armure considérablement modifiée, mais qui était toujours nommée bôgu.
La All Japan Kendo Fédération fut formée en 1952. Dans la foulée, les règles officielles de compétition de la All Japan Kendo Fédération furent formulées, et dans la section concernant l’équipement il est dit : « Le bôgu doit comprendre un men, des kote, un dô et un tare ». Avec ce passage, le terme bôgu faisait concrètement son entrée dans les annales officielles des termes de kendo.
Néanmoins, une recherche dans les dictionnaires et les encyclopédies japonais
populaires des années 1950 et 1960 ne donnera que rarement, voire jamais, de résultat pour le mot bôgu, indiquant ainsi que dernier ne fut pas utilisé par les gens du commun avant la deuxième moitié des années 1960, où, alors, des dictionnaires majeurs tels que le Kojien (seconde édition) définissent « bôgu » comme « un équipement de protection utilisé en kendo et comprenant un men, des kote, un dô et un tare ». Le même terme fut ensuite également appliqué à l’équipement utilisé en escrime occidentale.
En 1979, les règles de compétition/arbitrage de kendo furent révisées en profondeur, et l’article 4 stipule de façon concise : « le Kendôgu
comprendra un men, des kote, un dô et un tare ». Depuis cette révision, le mot bôgu est officiellement remplacé par le terme kendôgu.
A ce propos, dans la révision de 1995 de ces mêmes règlements, le terme
keikogi fut changé en kendôgi.
Ainsi, le terme pour l’armure utilisée en kenjutsu évolua de dôgu à bôgu puis finalement à kendôgu.
Je vais maintenant me pencher sur l’évolution de l’armure elle‐même.
L’émergence du bôgu.
Jusqu’à maintenant, il était généralement accepté que le bôgu fit son apparition entre 1751 et 1772. Pourtant, il serait faux de conclure que le bôgu apparut soudainement en une date particulière de l’histoire. Durant la période 1661‐1681, une multitude d’écoles martiales virent le jour, et ce fut à partir de ce moment en particulier que plusieurs écoles explorèrent différentes façons de participer à des entraînements moins dangereux en développant des pièces d’armure de protection.
A partir de là, j’introduirai quelques documents de cette période qui décrivent ces
élaborations. Malheureusement, les sources documentées datant de cette période sont plutôt maigres, rendant difficile la complétion du puzzle. Toutefois, le fameux chercheur militaire et confucianiste Yamaga Sokô nous a laissé quelques références intéressantes concernant l’utilisation des équipements de protection du début de l’ère Edo. « A propos des bénéfices du système d’entraînement au kenjutsu avec un shinai […] les pratiquants avaient l’habitude de porter une armure, avec un masque protecteur en fer, et pouvaient s’engager dans de rigoureux combats simulés, jusqu’au fond des possibilités [sans la peur de se blesser] ». Nous trouvons une référence datant du second mois de 1663, par Kamiya Denshin Yoriharu, maître de l’école Jikishin‐ryû, dans un essai qu’il envoya à Osawa Tomoemon à propos de l’utilisation d’un équipement de protection. « Dans les entrainements conduits dans les autres écoles, une armure en cuir est portée accompagnée par d’autres pièces d’équipement variées incluant des masques pour le visage. Dans l’école Jikishin‐ryû, par contre, nous ne demandons pas d’utiliser de tels équipements… » En conséquence, nous pouvons déterminer grâce à ce passage que plusieurs écoles anonymes autre que la Jikishin‐ryû pratiquaient l’entraînement au combat protégés par des équipements de sécurité dès le début de l’ère Edo.
En 1682, un diptyque dessiné par Hishikawa Moronobu et intitulé Chiyo no tomozuru dépeint deux jeunes guerriers brandissant des lances à pointe sécurisée et engagés dans un match avec un autre jeune guerrier équipé d’un men, dôtare
et d’un naginata (illustration 1).
Cette illustration fut certainement achevée vers la fin du XVIIe siècle. Curieusement, le type de bôgu dépeint dans ce diptyque comprend un men diminué de son matelas de protection au sommet et de sa protection de gorge (nododare).
Le men n’est ni plus ni moins qu’une grille couvrant le visage, et semble être fait de bambou. Le tare est attaché au dô (dôtare), qui est aussi fait de bambou, similaire en ça à ceux fabriqués postérieurement. Des dessins similaires d’Hishikawa de 1684 environ peuvent être admirés dans l’Ukiyotsuzuki, ce qui montre une fois de plus que l’utilisation des armures d’entraînement était relativement répandue dès le début de l’ère Edo.
Bôgu employé en sôjutsu (combat à la lance) La question qui se pose est : laquelle des deux disciplines, kenjutsu ou sôjutsu, commença à utiliser l’armure d’entraînement en premier ? Dans Kendô no hattatsu (Le développement du kendo) de Shimokawa Ushio, il est dit que, vu les différences de technique entre kenjutsu (principalement techniques de coupe) et sôjutsu (principalement techniques de pique/perforation), mais aussi en considérant lequel des deux était le plus dangereux, il allait sans dire que les parties d’armure telles que le dô et le tare étaient nées sans nul doute de la pratique du sôjutsu, puis furent appliquées
par la suite au kenjutsu.
Au début de l’ère Edo, les écoles martiales commencèrent à se spécialiser dans une
arme en particulier. Cependant, quel que soit le curriculum, plusieurs armes étaient
prisent en considération. Ainsi, une école spécialisée en sôjutsu avait évidemment à
apprendre à répondre à un adversaire armé d’un sabre. Ce fait rend hasardeuse
l’hypothèse que le bôgu ait été développé uniquement par les écoles de sôjutsu, et
ensuite seulement utilisé par les pratiquants de kenjutsu.
Je laisse ici le débat sur quelle discipline commença à se servir la première de l’armure, et porte maintenant mon attention sur le style de bôgu utilisé en sôjutsu et son développement progressif, comparé à celui porté en kenjutsu.
A propos de l’illustration 1, J’ai fait mention de ce type de men qui semblait être fait de bambou et n’avait pas de matelas de protection, ni au sommet de la tête, ni à la gorge. Le guerrier sur ce dessin n’utilise pas non plus de kote, et il en va de même dans les illustrations ultérieures de Hishikawa.
Néanmoins, dans le Geijutsu bukoron de Kashibuchi Arinori (1768), des  illustrations du bôgu utilisé par les pratiquants de l’école de sôjutsu Masaki‐ryû, montrent certaines améliorations. Le men possède, et le matelas de protection au sommet, et la protection de gorge, sans oublier bien sûr la grille en métal protégeant le visage. Le tare est attaché au dô fait de bambou, et l’on peut voir également une protection au niveau de l’aisselle et de la taille (illustration 2).
Par conséquent, on assiste en l’espace d’un siècle à un bond dans l’évolution de la
facture du men. Celui‐ci est plus robuste par la facture en métal de la grille, et fournit une protection beaucoup plus effective aux parties fragiles que sont le sommet du crâne et la gorge avec son épais et ample matelas.
On note aussi l’étendue de cette évolution à travers un texte écrit vers la fin de l’ère Edo, présentant l’équipement utilisé au sein de l’école Fuden‐ryû. Ce texte nous dit que le tsukidare était fait de bambou et de cuir, et était de la même largeur que celui que l’on trouve sur les men modernes. Ce même texte possède également des illustrations montrant des kote, probablement utilisés lors de rencontres contre des pratiquants de kenjutsu, et des suneate (protection de jambe) vraisemblablement portés lors de matches contre le naginata. Ce qui tend à prouver que la plupart des entraînements en sôjutsu n’étaient pas basés uniquement sur yari versus yari, mais également sur la pratique contre des adversaires utilisant des armes différentes (ishujiai), et que l’évolution du bôgu s’est centrée sur de telles considérations. Ceci était probablement dû au phénomène populaire, à l’époque, des tournois inter écoles (taryûjiai).
Néanmoins, d’autres textes montrent que l’utilisation du tsukidare n’était pas
universelle parmi les écoles, et ce, même en 1812, comme on peut le voir dans
l’illustration 3 qui dépeint un entraînement de sôjutsu au dojo Nisshinkan avec un men sans tsukidare, et un dô en cuir. Cette image est une représentation de l’une des trois écoles de sôjutsu en activité au sein du clan Kaitsu (Ouchi‐ryû, Hozoin‐ryû, Isshi‐ryû), bien qu’il soit difficile de dire laquelle. Ce que nous savons par contre, c’est que ces entraînements étaient conduits avec armure de protection et yari « mouché ».
En étudiant toutes ces illustrations, on remarquera que dans la plupart d’entre elles, les kote sont absents pour une raison indéterminée. C’est peut‐être parce que le yari se pratiquait à main nue et les kote ne faisaient donc pas partie initialement de l’armure d’entraînement utilisée dans cette discipline en particulier ; et ce jusqu’au début de la période dite du Bakumatsu (à partir des années 1850). Comme je le montrerai brièvement, les kote furent probablement importés dans la pratique du sôjutsu à partir du kenjutsu, où ils étaient déjà utilisés depuis le début de l’ère Edo. Quoi qu’il en soit, les deux disciplines empruntèrent et améliorèrent les développements de l’autre, jusqu’à ce que le bôgu évolue graduellement vers sa forme actuelle.
Le bôgu en kenjutsu.
A propos des différents types d’armure utilisés en kenjutsu, Shimokawa déclare dans Kendo no hattatsu que Yamada Heizaemon Mitsunori (1639‐1716) de l’école Jikishikageryû se lamentait du manque d’esprit combatif de nombreux pratiquants qui ne se concentraient que seulement sur l’étude des kata. Il commença alors à concevoir un système d’entraînement qui permettrait aux pratiquants de frapper avec un maximum de force sans aucun danger de causer des blessures ni de ressentir la douleur. Son 3e fils, Naganuma Shirozaemon Kunisato (1688‐1767), acheva cette tâche entre 1711 et 1716.
J’utiliserai la théorie de Shimokawa comme base pour examiner l’évolution du bôgu de kenjutsu.
L’école Jikishikage‐ryû débuta avec Sugimoto Bizen‐no‐Kami Masamoto de l’école
Shinkage‐ryû. Le 5e successeur de la tradition, Kamiya Denshinsai Sadamitsu changea le nom de l’école en Jikishin‐ryû. Elle devint ensuite Jikishin Seitoha sous le 6e gardien de la tradition, Takahashi Danjozaemon Shigeharu, et enfin Jikishinkage‐ryû sous le 7e maître, Yamada Heizaemon Mitsunori.
Selon le Heihô denki chukai, un manuscrit de Jikishinkage‐ryû, Yamada Heizaemon fut gravement blessé au jeune âge de 18 ans dans un combat au bokutô. Il stoppa son entraînement au kenjutsu jusqu’à l’âge de 32 ans où il entra en contact avec l’école de Takahashi Danjozaemon, au sein de laquelle « un masque gardant le visage et des gants de protection avaient été créés, rendant ainsi possible l’entraînement au combat sans risque de blessure ». Il devint immédiatement un élève de cette école, et il est inscrit qu’à l’âge de 46 ans, il reçut une licence d’enseignant (menkyo).
C’était en 1684, mais il est évident qu’à l’époque, l’école de Takahashi Danjozaemon
utilisait déjà le bôgu depuis un certain nombre d’années. Toutefois, ce bôgu ne consistait que seulement en un masque et des gants, mais rien n’était utilisé qui ressemblât à un dô. La Sagawa Shinkage‐ryû, une école associée, loin au nord du Japon, utilisait également seulement masque et gants lors de ses entraînements. Cela indique par contre que toutes les écoles rattachées à Shinkage‐ryû se servaient du fukuroshinai (prototype du shinai moderne), du men et des kote. Dans l’illustration 5, tirée du Sendai fûzokushi (1927) de Suzuki Shozo, on peut voir un adepte de l’école Shinkage‐ryû utilisant seulement un fukuroshinai,
un men et des kote : « comme le tronc n’était protégé que par le fin tissu du kimono que l’on portait, on apprenait la signification de la douleur lorsque l’on était touché à cet endroit plutôt vulnérable lors des keiko ! » Le maître de Takahashi Danjozaemon, Kamiya Denshinsai décréta que « lorsque vous vous engagez dans un combat contre une autre école, vous devez toujours utiliser un bokutô.
L’utilisation du shinai est interdite ». Il était un fervent avocat des kata, et ce n’est pas avant l’ère de Takahashi Danjozaemon que le bôgu devint la norme plutôt que
l’exception.
Dans le texte Heihô zakki de Yamada Heizaemon, celui‐ci écrit que « pour atteindre
réellement une compréhension de ce qu’est le combat à mort, il est nécessaire pour les deux combattants de porter un men, les kote et d’autres pièces de protection, et de se forger à travers la confusion rencontrée en s’engageant dans un audacieux et non restreint entraînement ». Ce passage là se réfère à uchikomigeiko,
entraînement où l’on frappe réellement avec le shinai, qui fut à l’évidence promu par Heizaemon à la fin de sa vie. Heizaemon mourut en 1716, période qui correspond avec la déclaration de Shimokawa disant que le bôgu était tout sauf « parfait » à ce moment de son histoire.
En plus de tout cela, l’inscription sur la pierre tombale du 3e fils de Yamada Heizaemon, Naganuma Shirozaemon Kunisato (1688‐1767), héritier de la tradition Jikishinkage‐ryû, dit que parmi ses exploits, il y avait ceux d’avoir amélioré le bokutô et le shinai, et d’avoir perfectionné l’armure en y ajoutant une grille en métal pour le men et d’épaisses protections en coton recouvrant les kote. Kunisato hérita de la tradition par son père Heizaemon en 1708 et tous les deux travaillèrent dur, ensemble, afin d’améliorer le bôgu, jusqu’à la mort de Heizaemon.
En ce basant sur ces documents, il ne devrait pas être erroné de conclure que les
améliorations du men et des kote utilisés dans les écoles de la lignée de Jikishinkage‐ryû,
ainsi que l’addition du dô pour protéger le tronc furent des innovations de Yamada
heizaemon et de son fils Naganuma Kunisato, dans les années 1711‐1716 environ.
Le bôgu de Jikishinkageryû Maintenant que nous avons vu comment a évolué le bôgu dans la tradition de jikishinkage‐ryû, Je porterai mon attention sur son aspect. Ayant dit cela, il faut préciser que, autant que je sache, il n’y a pas de set original de bôgu de Jikishinkage‐ryû qui soit parvenu jusqu’à nous. On peut cependant s’en faire une idée générale à partir des illustrations contenues dans un livre de 1931 de Tominaga Kengo, le Shoryûha budôguzue (illustrations d’armures provenant de différentes traditions martiales) (voir illustrations 6, 7 & 8).
En regardant de près ces illustrations, on peut conjecturer que le men était en bambou et voir que celui‐ci ne possédait pas de protection de gorge, tsukidare.
Le dô était fait de lamelles de bambou plates liées ensemble ; les kote couvraient complètement l’avant bras ; le shinai était un fukuroshinai.
Si l’on compare ces illustrations avec l’illustration 5, l’armure de l’école Shinkage‐ryu, on remarque quelque différence : cette dernière ne possède pas de matelas couvrant le dessus de la tête ni de dô. Le bôgu dépeint dans les illustrations 6‐8 était probablement peu différent de celui développé par Naganuma Kunisato.
Perfectionnements Sur la période s’étendant de 1751 à 1764, environ cinquante années après que le bôgu de Shinkage‐ryu fut achevé, Nakanishi Chuzo Tsugutake de l’école Ittô‐ryû participait à des « full contact » uchikomigeiko en utilisant un « men fait de métal et une armure en bambou ». Dans le Ittôryû heihô toho kigen (traité concernant Ittô‐ryû – édition de 1861) de Nakanishi Koresuke, il est dit que « le clan Nakanishi utilisa pour la première fois un shinai lors de ses entraînements pendant la période Horeki » (1751‐1764). Dans le Heihô michishirabe (édition de 1834) de Shirai Toru, il est fait référence de la façon dont Tsugutake, après la mort de son père, excella dans l’art du kenjutsu en se diversifiant et en expérimentant avec un shinai, plutôt que de se confiner dans des méthodes d’entraînement plus traditionnelles.
La raison pour laquelle Nakanishi Chuzo tsugutake pratiquait uchikomigeiko
avec un shinai est notée dans un texte en réponse à une lettre de Yamaga Takayoshi de l’école Ittô‐ryû du clan Tsugaru dans le douzième mois de l’année 1775. La lettre posait à Nakanishi Tsugutake onze questions concernant le pour et le contre de la branche Nakanishi de la tradition Ittô‐ryû. Les réponses à ces questions sont clairement inscrites dans le Ittôryû gokui. Nakanishi était stimulé par l’intérêt que lui portait Yamaga et répondit aux questions, mais s’abstint de commenter la question sur l’utilisation du shinai avant le troisième jour du premier mois de l’année suivante. Yamaga avait posé à son mentor, Ono Tadao, maître de l’école Ono‐ha Ittô‐ryû, la même question vis‐à‐vis du combat avec un bokutô et du combat avec un shinai ; ce à quoi ce dernier répondit « s’entraîner avec un shinai est incroyablement clément, et n’est rien de plus que jeu pour enfant. Ce n’est rien de plus qu’une façon de se soustraire à la profondeur du combat réel ». En contraste avec cela, Nakanishi répliqua que c’était une complète incompréhension des objectifs du groupe de Nakanishi quant à l’emploi du shinai lors de
l’entraînement. Ce contentieux à propos de l’utilisation du shinai lors de l’entraînement au combat, opposé à la pratique des kata, ne restera pas seulement une question importante au sein de l’école Ittô‐ryû, mais sera également furieusement débattu par de nombreuses autres traditions martiales. C’est à partir de là que nous assistons à un transition massive de la méthode d’entraînement traditionnelle par le biais des kata utilisant de vraies lames ou des bokutô vers celle de la pratique avec shinai, comme dans le kendo moderne.
Concernant les modifications du bôgu à partir de la fin du XVIIIe siècle, il existe une référence dans le Nisho gogo no ben de Zokukoken Koon (1794) qui décrit l’état de l’équipement à cette époque. « La soi‐disant armure n’est rien de plus que du coton ou du cuir assemblés avec du rembourrage puis cousu, et des pièces de bambou liées entre elles ». Dans le traité sur le kenjutsu de Yamazaki Toshihide, Kenjutsu giron (1791), il est dit : « il n’y a pas de meilleur façon de comprendre les principes du combat que de mettre un men et d’enfiler des kote, et de pratiquer les techniques avec un shinai, sans aucune inquiétude de se blesser ». De même, dans le Kenjutsu hiden doku Shugyo (1800) du même auteur, il est noté : « dans un premier temps, les pratiquants portent un men, des kote et une protection de corps en bambou, afin de ne pas s’exposer à des blessures […] » Ces passages indiquent que l’utilisation d’une armure d’entraînement était assez répandue à cette époque. L’armure dépeinte dans l’illustration 9 tirée d’un manga d’Hokusai (1808) est représentative du bôgu utilisé pendant cette période.
Par contre, après inspection, on remarquera une fois de plus qu’il n’y a pas de protection de gorge, comme c’était le cas avec le bôgu de Jikishinkage‐ryû montré dans les illustration 6, 7 et 8. Cela semble indiquer que les techniques de tsuki n’étaient pas employées, et que la base de l’entraînement tournait autour des frappes au kote et au men.
A propos des techniques de tsuki, il y a un document intéressant relatif à un certain Oishi Susumu du clan Yanagigawa qui, dans la période Tempo (1830‐1844), se servit d’un shinai particulièrement long mesurant 5 shaku 3 sun (environ 167cm) afin de battre à plates coutures un épéiste renommé d’Edo avec des tsuki et des coupes au dô. Il apparaît qu’Oishi n’était pas seulement le maître de sa propre école Oishi Shinkage‐ryû, mais possédait également une licence d’enseignant de l’école Oshima‐ryû Sôjutsu (techniques de lance). Il semble s’être servi des son habileté aux piques des techniques de lance pour prendre un avantage certain sur le point faible des bôgu de kenjutsu. Peut‐être en partie dû aux exploits d’Oishi, les shinai plus longs devinrent à la mode dans les années qui suivirent.
Aussi, comme dépeintes dans certaines images de bôgu de cette époque contenues dans le fameux livre de Takano Sasaburo, Kendo, de larges protections de gorge furent alors
ajoutées au men dans le but de garder cette cible plutôt fragile (illustration 10).
Tout ce qui pouvait être populaire à Edo faisait son chemin vers les provinces, et les
protections de gorge attachées au men ne furent plus une exception. Par exemple, ce set rudimentaire de bôgu fabriqué à la main dans un petit village en 1836 (illustration 11) est fait de bambou, mais possède une protection de gorge énorme.
Un autre set d’armure fut également trouvé dans le même village, mais celui‐ci possède une grille en métal sur le men au lieu d’une grille en bambou, ce qui laisse penser qu’il y avait une autre transition dans le style des armures à cette époque.
Comme nous l’avons vu, les modifications de la grille en métal, du tsukidare,
du matelas au sommet de la tête et de la protection de poitrine sur le dô semble avoir été des adaptations pour le kenjutsu, copiées du bôgu utilisé en sôjutsu. A l’inverse, les kote étaient à l’origine une invention du kenjutsu qui fut incorporée à l’équipement porté en sôjutsu. Donc, les deux formes de tradition martiale utilisèrent et améliorèrent les innovations de l’autre jusqu’à ce que cela aboutisse à la forme familière utilisée de nos jours, où un bôgu standard de kendo consiste en un men complet avec tsukidare, kote, dô et tare. A cette époque, la forme de base était établie, et l’évolution du bôgu se dirigea vers une période de perfectionnement des éléments séparés.
Dans la ville animée d’Edo, les environs de Kajibashi, Atago et Shitayakanari kaido
étaient pleins de magasins spécialisés dans la vente de bôgu et de shinai. Dans le Shokoku kaireki nichiroku de Muta Takaatsu (un carnet de voyage), il est fait mention de luimême
commandant un dô en cuir dans une boutique de Nichikage‐chô au prix de 1 ryô.
Nous pouvons également apprendre dans ce texte qu’un shinai coûtait la modique
somme de 200 mon. Le coût moyen qu’avait à débourser alors un pratiquant de kenjutsu pour un shinai était, semble‐t‐il, quelque chose comme 200 ou 270 mon.
Près de l’endroit où nombre de ces magasins étaient concentrés se tenait le dojo de
Jikishinkage‐ryû de Naganuma, ce qui en faisait en vérité une « place forte » du kenjutsu.
De plus, la raison pour laquelle le Bakufu construisit l’académie militaire Kobusho dans ce quartier concernait la défense navale, à cause d’un accès proche à la mer, mais aussi parce que la zone grouillait d’experts en kenjutsu et l’équipement abondait.
Il y a une charmante image dans le Ehon azuma asobi (1802) de Katsushika Hokusai, qui dépeint ce qui ce passait dans l’un de ces magasins (illustration 12). D’un coup d’oeil, on peut voir des fukuroshinai, et du matériel de protection en bambou pendu aux murs de ce qui ressemble à un magasin d’armure traditionnelle. En ce basant sur cette image, on peut supposer que c’était principalement ces artisans (d’armure traditionnelle) qui s’occupaient également de l’équipement contemporain.
Le bôgu pendant le Bakumatsu.
Avec l’arrivée des bateaux noirs de Perry à Uraga, le Japon fut forcé d’ouvrir ses portes à l’Ouest, et il y eut une très forte augmentation des ventes d’armes et d’armures. Ces
événements prirent le Bakufu par surprise qui décida précipitamment la construction d’une académie militaire nationale (la susmentionnée Kobusho) à Edo en 1855 afin d’encourager l’étude des bujutsu.
Le Kobusho fut responsable de l’unification des critères se rapportant au bôgu et au
shinai utilisés dans la pratique du kenjutsu, qui, jusqu’alors, variaient d’une école à
l’autre et d’un dojo à l’autre. Le Kobusho entreprit aussi de placer moins l’accent sur la pratique des kata que sur l’entraînement au shiai, et établit les règlements relatifs à la longueur des shinai, réduite à pas plus de 3 shaku 8 sun (environ 115 cm). Cela porta effectivement le kenjutsu à un autre niveau, détaché de toute école ou tradition particulière. L’accent sur le shiai entraina également un regain d’intérêt pour les matches inter écoles (taryûjiai),
et des bôgu plus solides et plus transportables furent développés.
Alors que les jours du Bakufu allaient sur leur fin, le très répandu dô une pièce en cuir fut incorporé à un set d’armure facile à transporter. Dans le cas des armures en bambou, la zone de la poitrine jusque sous les hanches était en général droite et rigide, alors que le dô en cuir pouvait posséder une courbure s’ajustant aux lignes du corps. Aussi, avec l’armure en bambou, le dô et le tare étaient assemblés en une pièce unique et le tare consistait en trois rabats de protection. Mais, avec la version en cuir, le dô et le tare furent séparés, et le tare fut amélioré par l’ajout de deux rabats supplémentaires. Le men n’était pas différent de celui utilisé aujourd’hui, et possédait quarante barres métalliques horizontales protégeant le visage. Les barres horizontales et verticales étaient protubérantes et étaient suffisamment solides pour protéger des piques au visage. De plus, le matelas du men était à peu près de la même taille que la protection de gorge, ne protégeant qu’à peine les épaules et paraissait donc très court en comparaison des men actuels. La protection de gorge était quelque peu conséquente en largeur mais ne possédait pas la protection de secours à l’arrière comme les men modernes ont (illustration 13).
A cette époque, les dô étaient faits de bambou avec une couche de cuir protecteur tendu sur le devant. La partie principale du dô devint bombée, très similaire aux dô utilisés aujourd’hui (illustration 14).
Le bôgu après l’ère Meiji.
Avec le début de l’ère Meiji, les clans (han) furent dissouts et le kenjutsu se trouva sur le déclin. Ce qui sauva le kenjutsu de l’extinction, ce furent les spectacles mis en place pour amuser les foules et la création de dojos privés par des amateurs de kenjutsu autonomes.
Le gouvernement Meiji restructura son armée sur le modèle français comme je l’ai déjà mentionné. En 1884, les Japonais invitèrent le conseillé militaire français Kiehl de Villaret [voir plus haut] qui procéda à l’introduction des méthodes d’escrime française.
Ce style de kenjutsu fut ensuite structuré et présenté dans le manuel cité en début
d’article, le Kenjutsu kyohan. C’est la première fois que le terme bôgu était utilisé et il se rapportait à l’armure de style français.
Cependant, le Japon vint à porter son intérêt militaire non plus sur le modèle français, mais sur le modèle allemand. Dans le manuel susmentionné, des amendements furent faits, dans lesquels il était stipulé que le bôgu de style japonais serait utilisé pour pratiquer le style d’esc rime européen à une main. Même avec ces changements dans le système militaire, le bôgu traditionnel japonais continua a être utilisé et développé, et un nouveau dô, par exemple, fut produit en masse avec une protection supplémentaire pour le dessous des aisselles ; la courbure du dô fut encore plus accentuée.
Pendant l’ère Taishô (1912‐1926), la production en masse de bôgu continua, et les bôgu fabriqués à la machine firent leur apparition à côté de l’équipement traditionnel cousu main.
Durant la période Shôwa, les kote étaient découpés au sommet en haut du futon, et le matelas sur  le men gagnait en longueur afin qu’il puisse éventuellement couvrir toute la surface des épaules. C’est à ce stage que l’on peut dire que l’évolution du bôgu est terminée.
A propos, si l’on en croit le catalogue d’un magasin en 1932, le bôgu le plus cher qu’ils avaient en vente valait 85 yens le set. Si l’on considère les éléments séparés, le men (distance entre les coutures, 1 bu 5 rin ; finition cuir, grille en métal) valait 26 yens, les kote 18 yens, le dô 24 yens et le tare 17 yens. Le set en bambou le moins cher coûtait 10,5 yens (10 yens et 50 sens). Un dô en cuir pouvait coûter dans les 20‐30 yens. Si l’on multiplie ces prix par 10000 pour avoir un équivalent actuel, le prix s’élèverait à 850000 yens (un peu plus de 6500 euros). Cela montre que le bôgu n’était absolument pas un article bon marché à cette époque. Un set d’armure était déjà considéré plus comme un objet d’art créé par de talentueux artisans que comme du simple matériel d’entraînement.
La veste de judo la plus chère en ces temps‐là valait 2,6 yens. Une veste bleue standard de kendo coûtait 2,9 yens, et une de qualité supérieure plus de 6 yens. Un shinai pour enfant valait 0,4 yens et les shinai de bonne qualité dans les 0,8‐0,9 yens. Ainsi, le prix du bôgu seul pouvait également être considéré comme un facteur faisant obstacle à la popularisation du kendo à cette époque.
La période de l’aprèsguerre.
Immédiatement après la guerre, la pratique des arts martiaux fut interdite. A la place du kendo, un nouveau sport appelé shinaikyôgi, combinant kendo et escrime européenne fut développé. L’équipement de protection utilisé dans cette escrime nouvellement concoctée était désigné comme :
‐ Men (masque), dôate (protection) et gants.
‐ Le masque sera fait d’un grillage de métal sur le devant et les côtés.
‐ La protection sera faite d’un épais matelas de coton et de solides plaques de
métal ou bambou.
‐ Les gants auront une protection d’avant‐bras allongée garnie de plaques rigides.
On peut imaginer à partir de la description de l’équipement l’influence de l’escrime
occidentale dans le design.
La All Japan Kendo Federation fut inaugurée en octobre 1952. Dans les règles
concernant le shiai publiées en mars de l’année suivante, il est dit que « Le bôgu doit comprendre un men, des kote, un dô et un tare ». Ainsi, l’armure d’avant‐guerre était officiellement réintroduite et était visiblement différente de l’équipement récemment développé pour le shinaikyôgi.
Il y eut une courte période où les deux styles furent pratiqués côte à côte, mais en mars 1954, la All Japan Kendo Federation et la All Japan Shinai‐kyôgi Federation furent combinées en une All Japan Kendo Federation globale, ce qui sonna essentiellement le glas du shinaikyôgi.
Par la suite, des choses telles que les dô en duralumin ou les kote à cinq doigts furent façonnées, mais aucun changement majeur n’est à mentionner dans le design du bôgu.
Bien sûr, le shinai en carbone graphite fut mis en vente pour la première fois en 1985, et fut finalement autorisé pour en tournoi officiel le 18 mars 1987 et est toujours utilisé par de nombreuses personnes.
Un autre développement intéressant dans le monde du bôgu fut la production de men avec une protection de visage transparente en plexiglas, qui furent commercialisés en mars 1997. A cause de la popularité de ces men, la All Japan Kendo Federation se décida à accepter officiellement leur utilisation en compétition lors de la révision des règlements du 15 mars 2000 et cette décision fut appliquée le 1er avril 2000.
Le futur du bôgu (kendôgu).
Pour conclure cet article, je voudrais relier cet historique brièvement exposé avec
quelques réflexions sur le futur du bôgu (kendôgu).
La troisième période de l’histoire du bôgu a débuté, suivant les changements officiels de nom, dôgu puis bôgu et maintenant
donc kendôgu.
Ce nouvel âge est représenté par l’invention du shinai en carbone
graphite et du men à champ visuel large en plexiglas, qui ont chacun changé l’image
conventionnelle du bôgu. Je suspecte que les prochaines choses à changer seront les
himo (les cordons) pour le men et pour le dô. Cela peut paraître surprenant, mais même les Japonais sont en train d’oublier comment attacher le men et le dô correctement. Je prévois que le men sera développé en utilisant des attaches en velcro, et le dô suivra probablement avec des matériaux similaires. Pourtant, l’artisanat traditionnel des fabricants de bôgu tombera dans l’oubli à mesure que la production deviendra simplifiée.
En ce qui concerne la question de la tradition et de la modernisation du kendo, un débat fait actuellement rage au Japon à propos de descendre en sonkyô avant de commencer et pour terminer les combats, quand les 2 kendôka se montrent déjà un respect mutuel dans l’exécution du salut debout. Est‐ce que ces 2 formes de courtoisies sont réellement nécessaires ? Cette tendance à débattre de la rationalité de certaines traditions du kendo provoquera très certainement la suppression de ces aspects jugés inutiles. Même si une action telle que le sonkyô a un sens, cela est ébranlé par la question de savoir si oui ou non c’est réellement nécessaire en shiai. Faire des poses de victoire ou des gestes de joie en levant les bras au ciel après avoir gagné un tournoi est toujours autant peu apprécié en kendo. C’est une chose que l’on peut voir souvent au judo ou au sumo, mais reste pour quelque raison considéré comme impardonnable dans cercles de kendo qui sont en
comparaison plus conservateurs. Nous devons clarifier ce qui est pardonnable ou non dès l’instant ou cela concerne le progrès ou le changement afin d’éviter dans le futur des clashes nuisibles. Mon point étant que le problème du maintien d’une « prudente » balance entre popularisation et tradition est quelque chose que le monde du kendo doit prendre très au sérieux dès maintenant.
Translated from the original Japanese by Alex Bennett. Kendo World would like to acknowledge Professor Nakamura and Kendo Jidai Magazine (where the original was first published) for kindly allowing us to use this article. All rights for this
article remain the property of the author, Nakamura Tamio.