Kangeiko – Taidai no Meibutsu

Article tiré de KendoWorld – Par Alex Bennett / 10 Mars 2009

C’était avec beaucoup d’excitation et une certaine part d’appréhension que j’ai récemment participé au ‘kangeiko’ (entraînement d’hiver) de 15 jours du club de Kendo de l’Université des Sciences médicales et sportives d’Osaka (connue sous le nom de Taidai). L’université est réputée à travers le Japon pour ses grands professeurs et ses étudiants experts. Cela fait une année que j’enseigne à l’université, en grande partie dans le but personnel de rejoindre les entraînements de kendo de fin de journée.

Le cercle des anciens du club de kendo se vante de compter d’illustres personnes comme Ishida Toshiya et Seike Kōichi, tous deux ex-membres de l’équipe du Japon. Au niveau des professeurs, on compte Sakudō Masao (8e dan Hanshi), Kanzaki Hiroshi (8e dan Kyoshi et actuel entraîneur de l’équipe féminine du Japon) et Kokubo Shōji (8e dan Kyoshi). Le club de kendo de a remporté les championnats universitaires de nombreuses fois par le passé, et on les attend toujours dans le haut niveau, même dans les mauvais jours. Le niveau est élevé, tout comme la motivation des étudiants, des professeurs et des anciens.

En dehors des tournois, il y a bon nombre d’autres évènements importants dans le calendrier annuel du club. L’un des plus difficiles est le célèbre kangeiko de 15 jours – l’un des évènements fameux (meibutsu) de Taidai. Le principe du kangeiko est de s’entraîner intensivement pendant la période la plus froide de l’année. Comme pour de nombreuses pratiques épuisantes employées dans le kendo, il y a la méthode derrière la folie. Comme il fait si froid, vous devez bouger constamment, et quelle meilleure manière de se réchauffer que de s’engager dans un grand nombre de kiri-kaeshi et de kakari-geiko !

Ainsi, le kangeiko est le moment où le kenshi se rue avec des cris frénétiques en attaquant avec toute son énergie pour bâtir sa force, son endurance et cet esprit de courage devant l’épreuve qui est si important. Cette année, cependant, c’était le kangeiko le plus chaud jamais enregistré… Cela rendit les entraînements plus durs.

Le kangeiko a commencé le 28 Janvier à 5:30 du matin. En commençant aussi tôt chaque matin, j’étais obligé de rester à la pension de l’université pour la totalité des 15 jours. Il y avait plusieurs visiteurs qui sont venus et repartis, en fonction de leurs obligations professionnelles. Quatre kenshi de Marseille et moi-même étions là pour la totalité…

Chaque matin, je devais me lever à 4:30 et ramper lentement hors de la chaleur et du confort de mon futon bien aimé. Après avoir mis mon équipement et avoir pris un sachet multi-vitaminé, je me dirigeais vers le gymnase du campus, prêt pour le début de la session du matin.

Nous commencions par nous aligner et courir pendant 15 minutes autour du vaste gymnase en criant « Wasshoi! Wasshoi! » – le cri utilisé pour transporter les sanctuaires portables lors des festivals. Je suppose que cela permettait d’accentuer l’esprit festif du kangeiko – ou du moins pour encourager la bonne humeur avant la mêlée. Comme nous courrions autour du gymnase en formation disciplinée, le drapeau du club de kendo de l’université drapé sur le mur se soulevait par la brise créée à notre passage, comme si il applaudissait nos efforts. Suite à cela, nous faisions des étirements, 200 suburi, le salut, et nous commencions exactement à 5:30.

Les entraînements du matin étaient divisés en 3 sections de 40 minutes sans aucune pause entre. La première était réservée au kiri-kaeshi, suivi de 40 autres minutes de karaki-geiko, et enfin le ji-geiko. Le but est de se pousser au-delà de ses propres limites physiques et mentales, et de se laisser aller tout en se lançant dans des attaques.

Moi-même, les anciens (qui étaient en grand nombre), les sensei visiteurs, et les étudiants de 4e année avons servi de motodachi pour les autres étudiants. Cela peut sembler facile, mais croyez-moi quand je vous dit que ça a été un travail éreintant ! Sakudō sensei a observé les motodachi avec attention, et a donné de judicieux conseils sur la manière de recevoir proprement les attaques. Comme il le dit lui-même, « Le rôle du motodachi est crucial. Le motodachi offre essentiellement son corps pour qu’il soit découpé, embroché, frappé et taillé pour le bien du développement des étudiants. » Les étudiants qui attaquent sont privilégiés d’avoir cette opportunité de progresser. Mais si les motodachi n’assument pas leur rôle proprement, les étudiants tirent peu de bénéfices de leurs efforts.

Conscient de cette lourde responsabilité, chaque kiri-kaeshi et kakari-geiko était reçu avec des efforts concentrés et une intensité implacable, maintenant avec attention la distance correcte, appliquant une force suffisante pour recevoir et repousser, et manœuvrant assidûment tout en indiquant subtilement les ouvertures pour frapper.

Dans le kiri-kaeshi, par exemple, on m’a conseillé de garder ma main gauche fermement au niveau de mon nombril et d’absorber ou de dévier dans le bon rythme les attaques pour pousser l’étudiant à allonger les bras, avancer et reculer sans maladresse. J’ai dû créer une situation qui était naturelle pour lui et qui lui donnait l’envie de continuer.

En fait, l’une des leçons les plus importantes que j’ai apprise durant le kangeiko a été la fonction significative du rythme du motodachi. Le motodachi doit contrôler la cadence, en termes de force et de mouvement. Je suis sûr que chacun de nous s’est déjà senti à l’aise en recevant certains kakarite, et maladroit avec les autres. Il y a toujours une tendance à jeter le blâme sur l’attaquant pour une attaque confuse et en rupture. Après cette expérience du kangeiko, je suis maintenant convaincu que toute maladresse de l’attaque est inextricablement liée à l’inaptitude du motodachi.

Le rythme et le mouvement ne sont pas les seuls points à considérer. Le motodachi doit aussi rentrer dans le psychisme de l’attaquant. Ce n’est qu’à cette condition qu’il peut le mettre à l’aise, développer une relation de confiance, et apporter les modifications nécessaires pour lui faire exprimer la totalité de l’esprit et les compétences qu’il a en lui.

Tel est le poids des responsabilités qui repose sur les épaules du motodachi. J’ai immédiatement pensé à la façon dont les personnes en dehors du Japon sont si désavantagées à cet égard. Le motodachi peut essentiellement faire ou défaire le potentiel de progression d’un élève. C’est un point crucial mais souvent négligé.

Bien sûr, ce n’était pas toujours dans un sens. Selon l’étudiant, la rencontre tournait parfois en ai-kakari geiko dans lequel nous attaquions tous les deux de manière frénétique jusqu’à ce que l’un de nous deux cède. Puis, généralement, cela se transformait en un combat de lutte contre le mur ou sur le sol. C’était au motodachi de décider quand chaque kiri-kaeshi ou kakari-geiko s’arrêterait, et la personne suivante dans la file commencerait alors.

Parfois le motodachi était si absorbé que le combat pouvait durer une dizaine de minutes, voire plus. C’est épuisant pour les deux parties, mais vous ne sentiez pas la douleur, juste l’envie de continuer. Vous perdez complètement la notion du temps alors que vous devenez totalement absorbé par chaque confrontation individuelle.

Les sessions de l’après-midi dans le dojo commençaient par des étirements, 40 minutes de Zazen, suivies de 40 minutes de ji-geiko. Zazen a nécessité un peu de temps pour s’y habituer. Il est très difficile de vider son esprit de toute pensée superflue quand vos jambes vous font mal, et qu’un entraînement de basketball se déroule dans la salle au dessus du dojo. Après avoir compris qu’il fallait pensé à une grande boule noire montant et descendant en phase avec ma respiration, j’ai trouvé que le temps passait très vite. Le dernier jour, je n’ai même pas senti la douleur dans mes jambes. Mes amis français qui ont aussi participé pourraient être en désaccord.

Les élèves ont quelques traditions qu’ils suivent durant le kangeiko. Par exemple, « tsubushi » – où les juniors se liguent contre leur sempai en 4e année et l’attaquent vigoureusement en succession rapide, jusqu’à ce que le senior plie par l’épuisement provoqué par l’absorption incessante du tai-atari. Puis les juniors se jettent sur lui et retirent son men dans une cacophonie bruyante de cris triomphants. C’est une façon de remercier le sempai pour tous ses conseils bienveillants au fil des ans, et une façon de lui dire au-revoir avant la remise des diplômes. C’était une sorte de « mort-par-motodachi » avant que les étudiants de 4e année ne quittent l’université et continuent leur chemin dans le monde réel. En ce sens, le kangeiko est une étape très sentimentale pour les étudiants.

C’est également le dernier événement de l’année, qui vient compléter l’initiation de l’étudiant de première année comme membre à part entière du club de kendo. Il y a une grande fête le soir avant le dernier jour dans le dojo. Les étudiants s’enivrent naturellement (uniquement avec de la bière), et reçoivent leur plaque nominative officielle des mains de Sakudo sensei, pour l’accrocher sur le mur du dojo. Avec ce rituel, ils sont à un entrainement de la fin du kangeiko, et leur appartenance à la famille du kendo de Taidai est assurée pour toujours.

Une autre grande tradition est le « Gonin-gumi », qui est habituellement considéré comme le dernier épisode, le dernier jour du kangeiko. Les élèves se divisent en groupes de 5 et font « enjin-ai-kakari-geiko » – c’est-à-dire une personne fait ai-kakari jusqu’à ce que le tambour sonne, puis change de partenaire jusqu’à passer avec l’ensemble du groupe. Ensuite, la deuxième personne commence. Tous deviennent des épaves à la fin de l’exercice, mais comme c’est le hourra final, ils sont tous de très bonne humeur. Beaucoup de larmes sont versées à la fin de Gonin-gumi.

J’ai participé à de nombreux camps d’entraînement difficiles dans ma carrière en kendo. Toutefois, celui-ci était spécial pour un certain nombre de raisons. Peu de gasshuku durent plus de 7 jours. Celui-ci était de deux semaines. Les hauts et les bas que j’ai pu expérimenter physiquement et mentalement étaient extrêmes. Il m’est paru tout à fait clair que la différence entre une bonne session et une mauvaise dépendait de mon état d’esprit. J’ai trouvé que, même dans le dernier tronçon du kangeiko, lorsque la fatigue était au maximum, une attitude positive faisait la différence entre un entrainement dynamique et un lent. C’est la différence simple entre « Je veux être ici », et « Je dois être ici ».

Une autre caractéristique fantastique du kangeiko de Taidai réside dans les personnes qui y participent. Les chiffres ont été incroyables. Durant les deux semaines, le total global de personnes à toutes les séances s’élève à plus de 4000. Un jour, il y avait plus de 350 personnes s’entassant dans le gymnase. Les plus jeunes étaient deux enfants d’école maternelle dont les parents avaient tenu à les accompagner chaque matin sans faute. Cela signifiait qu’ils devaient se lever à 3:30 du matin, puis les emmener à l’école après l’entrainement. C’est ce que j’appelle des parents dévoués. Il y avait aussi des centaines de lycéens dans le groupe, et le « Who’s who » du monde du kendo avec beaucoup trop d’étoiles à mentionner. Les étudiants tenaient des registres détaillés des participants chaque jour.

Les choses que j’ai apprises sont aussi nombreuses que les centaines de personnes avec qui j’ai pu m’entraîner pendant ces deux semaines. Il y a trop de choses à traiter en une fois, et je présume que je vais encore les travailler jusqu’à ce que le kangeiko de l’année prochaine commence. C’est un jour que j’attends maintenant avec rien de plus que de l’excitation.