[Traduit de l’anglais par Roland Haroutiounian, à partir du texte original Nito-ryu kendo — a brief discussion, paru sur Kenshi247.net.]

Nito-ryu kendo — Une brève discussion

Le débat sur le kendo nito-ryu est quelque chose que j’ai délibérément évité ces dernières années, mais le décès du kenshi nito-ryu le plus réputé dans le pays à la fin du mois de décembre, Toda Tadao hanshi, m’a fait penser qu’il était temps de m’attaquer au sujet… du moins très brièvement. Pour une discussion plus détaillée sur le sujet, vous devez vous asseoir avec moi dans un pub !

Premièrement, voici la photo très populaire que j’ai uploadée en décembre sur Facebook afin de rendre hommage à Toda sensei. Je l’ai prise le 5 mai 2009 :

Toda sensei

(source : https://i2.wp.com/kenshi247.net/wp-content/uploads/2016/12/2009-toda-sensei.jpg?w=531)

A présent, je vais vous donner un survol rapide du contexte et de la culture du nito-ryu kendo d’un point de vue historique, suivi de commentaires personnels.

1. Nito-ryu avant le kendo au shinai

Il y a un certain nombre de koryu existants qui incluent l’utilisation de deux épées. Le plus évident est bien sûr le Niten-ichi-ryu, le style que l’on attribue au sabreur le plus décrit dans la littérature et le cinéma au Japon : Miyamoto Musashi.

Dans les autres écoles qui incluent l’usage de deux sabres, on compte les écoles Yagyu shinkage-ryu, Shingyoto-ryu, et Katori shinto-ryu. Il est important de noter que les kata à deux sabres, même quand ils existent, ne constituent qu’une très petite partie d’une série plus large.

2. Nito-ryu et la naissance du kendo au shinai

Les prototypes des shinai et bogu actuels ont été développés et expérimentés pendant plusieurs années à partir du milieu du 18e siècle jusqu’au tout début du 20e siècle, quand la forme a été finalisée. Les deux écoles mentionnées le plus souvent à ce stade — Jikishinkage-ryu et Hokushin Itto-ryu — ne possèdent aucune part de nito. Toutefois, on peut émettre l’hypothèse que des personnes pourraient avoir essayé de prendre deux shinais pour s’affronter, car après tout cela pouvait paraître amusant !

3. Gekken kogyo

C’est probablement dans la deuxième moitié du 19e siècle, avec l’introduction du payant et de courte durée Gekken kogyo, que le nito a fait son entrée en scène pour la première fois. Ces représentations incluaient des combinaisons d’armes variées ainsi que des combattantes féminines.

Après que le kendo au shinai soit finalement introduit comme une pratique de la nouvelle force de police de Tokyo (Keishicho), tous les représentants les plus doués y ont trouvé un emploi et le Gekken kogyo, devenant l’ombre de ce qu’il avait été, a finalement disparu.

4. La formalisation du kendo : Busen et Koshi

La première formalisation du kendo a eu lieu dans deux centres principaux : le Dai Nippon Butokukai (à l’origine un centre d’entraînement le Bujutsu Kyoin Yoseijo est finalement devenu le Budo Senmon Gakko, ou « Busen« ) et le Tokyo Koto Shihan Gakko (« Koshi« ). Les deux professeurs les plus influents étaient Naito Takaharu et Takano Sasaburo. Aucun de ces deux professeurs ont pratiqué, enseigné, ou réellement discuté du nito-ryu kendo, ce qui bien sûr a influencé leurs étudiants et les centres d’entraînements que ceux-ci ont développés.

Nishikubo Hiromichi, kenshi du Muto-ryu, devenu le professeur en chef du Busen en 1919. Dans les cercles du budo, on se rappelle de lui comme de celui qui a poussé à renommer le « jutsu » en « do » mais il avait eu une autre forte influence sur le Busen : l’attaque à une main au shinai qui était vue comme « non réaliste » et « faible ». C’était certainement l’option de Naito également (bien que l’élève favori de Naito, également professeur au Busen, Miyazaki Mosaburo, était renommé pour son katate-men waza très puissant). Quand Naito tomba malade et décéda, Ogawa Kinnosuke (que Nishikubo appréciait beaucoup) devint le professeur principal du Busen jusqu’au milieu de la Seconde Guerre Mondiale. Dans ce contexte, il est facile de comprendre pourquoi le Busen n’a jamais produit de pratiquant de jodan, et ne parlons même pas du nito.

Toutefois, il est important de noter que l’un des premiers et plus anciens membres du Butokukai, Mihashi Kanichiro, était réputé comme maître du nito-ryu. Etudiant de Momoi Junzo, il était l’un des représentants doués qui avait été recruté parmi le Gekken Kogyo pour enseigner en tant que professionnel le kendo au Keishicho. En 1899, il devint un professeur de kendo au Butokukai et fut le tout premier à recevoir le titre de « hanshi » en 1903. Un autre praquant renommé de nito-ryu, Okumura Torakichi (fils d’un autre maître de nito-ryu Okumura Sakonta), s’est entraîné sous la direction de Mihashi de 1900 jusqu’à sa mort en 1909. Tarakichi était à la fois le successeur du « Okumura nito-ryu » de son père et du « Musashi-ryu » de Mihashi. Ces deux styles (quasi-certainement centrés sur le shinai) étaient de nouvelles inventions basées sur l’expérience, et non une transmission du passé.

En ce qui concerne le Koshi, et alors que Takano forçait tous les étudiants de kendo à apprendre le Jodan comme partie intégrante de l’enseignement, le nito semblait être largement ignoré.

5. Le kendo Nito-ryu apparaît

Le kendo de compétition n’a jamais été réellement présent jusque dans les années 1920, et même à cette époque il constituait un événement rare. Le kendo en tant que matière scolaire a été présent depuis quelques années et vient de gagner en popularité dans les universités. Etant jeunes, les étudiants ont apprécié l’émotion de la compétition. Une fois plus âgés, des professeurs plus chevronnés ont continué à désapprouver le shiai. Le Busen, en particulier, n’a pas pratiqué d’entraînement au shiai et n’a pas participé au shiai jusqu’à après la more de Naito en 1929 (les élèves pratiquaient quelque fois secrètement des entraînements au shiai, sans que leurs senseis en ait connaissance!). La compétition à cette époque était généralement démarrée et pratiquée par les étudiants en université et les personnes proches de ces cercles. C’est là que l’on voit pour la première fois apparaître le nito.

La grande majorité des compétitions d’avant la Seconde Guerre Mondiale se déroulaient en équipe sur le principe du « kachinuki« , un style où, si l’on gagne, on continue à affronter la personne suivant de l’équipe adverse. Une particularité de ce type de shiai est qu’une égalité entraîne la sortie des deux compétiteurs et l’entrée du compétiteur suivant de chaque équipe. C’est là que le nito a trouvé une utilité : si l’équipe adverse possédait un compétiteur très fort, vous pouviez utiliser un nito pour provoquer une égalité (plus facile à obtenir du fait d’une nature plus défensive) et ainsi faire sortir ce kenshi. En lisant les anecdotes sur le sujet, on peut  voir que cette stratégie était particulièrement répandue à cette époque, à tel point que certaines compétitions universitaires ont banni l’utilisation du nito.

Mais d’où pouvaient bien provenir ces kenshis nito-ryu ? Qui avait bien pu leur enseigner ? Je pourrais bien émettre une hypothèse sur ces questions, mais avant tout je vous demanderai de relire l’article à propos de Fujimoto Kaoru, que j’avais publié en 2009.

Alors que c’est assez évident, ma supposition était qu’à cette époque, de manière similaire à Fujimoto, la grande majorité des kenshis nito-ryu venaient de la population jeune des universités (en opposition aux kenshis professionnels) et étaient (surprise) auto-didactes. Dans les milieux professionnels du kendo, le nito-ryu était non-existant.

Le succès de deux kenshis nito-ryu Fujimoto et Kayaba Teruo durant le Showa Tenran-jiai (1934 et 1940) suggère que le kendo nito-ryu était peut-être plus populaire qu’il ne semblait l’être. Alors qu’il ne fait aucun doute que le succès de Fujimoto en 1934 a pu en inspirer d’autres, en consultant beaucoup de sources des années 30, il est aisé de montrer que le nito-ryu était — en dehors du kachinuki shiai du niveau universitaire — une arrière-pensée marginale. Cela ne concernait pas le kenshi sérieux. Et de toute façon, alors que le Japon est entré en guerre dans les années 30, le kendo lui-même a été changé pour devenir plus « réaliste », ce qui, il est inutile de le préciser, n’incluait pas l’utilisation simultanée de deux sabres.

L’après-guerre

Alors que le Kendo repartait sur de nouvelles bases après la Seconde Guerre Mondiale, la fraîchement créée All Japan Kendo Association a décidé de bannir complètement le nito-ryu des shiai scolaires et universitaires (il ne faisait même plus partie du shinai kyogi). Ce bannissement a été maintenu jusqu’à 1991 et a entraîné l’éradication quasi complète du kendo nito-ryu au Japon. Bien évidemment, certains adultes ont continué à pratiquer durant cette période et même un petit nombre de pratiquants très doués a combattu dans les championnats All Japan Kendo. Ces personnes étaient, comme vous vous en doutez, auto-didactes.

L’état actuel : une mini-renaissance ?

Au cours de ces dernières années, j’ai vu le kendo nito-ryu exploser. Cette explosion semble continuer en grande partie en dehors du Japon plutôt qu’à l’intérieur, mais il y a certainement plus de personnes pratiquant le nito-ryu de nos jours par rapport à l’époque de mon arrivée au Japon. Qu’y a-t-il derrière cette explosion ?

  1. Musahi-kai : Pour la première fois dans l’histoire du kendo nous avons un groupe qui pratique et — plus important — enseigne le nito-ryu d’une manière systématique. Ce groupe a gagné en popularité au début des années 2000 en tant que dojo semi-commercial en ligne répondant aux besoins des individus au Japon, mais a grandi pour devenir une organisation plus étendue avec un ensemble de groupes interconnectés et même des étudiants à l’étranger.
  2. Exposition : en 2007, pour la première fois depuis presque 40 ans, le kenshi nito-ryu Yamana Nobuyuki de Tokushima, a participé au All Japan Kendo Championships. Cela a provoqué un grand nombre de débats (positifs) et de discussions au Japon sur le nito-ryu. Il joue également un rôle important de modèle pour les kenshi nito plus jeunes et aspirants, ce qui n’est pas rien à mon sens.
  3. Université : la levée du bannissement du nito au niveau universitaire dans les shiai a rendu plus facile la prise en main du style par les étudiants mais il semble, au moins pour le moment, que peu d’entre eux s’y intéresse. Avec la combinaison des 1 et 2 précédemment décrits, il semble que de nos jours l’intérêt commence à grandir et vous pouvez commencer à voir régulièrement des pratiquants nito dans les compétitions. Peut-être que le sensei en chef nito-ryu du futur, dirigé par le sensei du Musashi-kai, va sortir de cette génération.
  4. Le livre de la All Japan Kendo Association (ZNKR) : Il n’y a rien de mieux pour officialiser quelque chose que de l’inclure dans un livre, et c’est ce que fit la ZNKR en publiant leurs propre règles et standards. Bien qu’il ne supprime pas complètement le stigmate du choix de pratiquer le nito-ryu, il donne au moins un éclat d’acceptabilité.
  5. Intérêt des pratiquants non Japonais : J’ai laissé ce point en dernier, mais il constitue un des points les plus intéressants dans la discussion quand on parle de nito-ryu. C’est aussi un sujet que j’aimerais aborder en détail dans un article futur … ou alors vous pouvez me payer un bière !

Conclusion

Veuillez noter que cet article n’est pas un guide complet, mais plutôt un aperçu rapide du nito-ryu, en particulier de son histoire, et une discussion courte sur sa récente popularité selon mon propre point de vue. Je ne suis pas qualifié pour discuter des aspects techniques, mais son histoire est assez simplement expliquée.

Pour résumer :

  • en dehors d’un petit boom parmi les étudiants universitaires dans les années 20 et 30, le kendo nito-ryu existait (à peine) en marge du kendo jusqu’à très récemment. Certains pourraient argumenter sur le fait qu’il s’agit toujours d’une activité marginale, mais on ne peut nier sa popularité accrue sur ces 10 dernières années.
  • avant l’extension du groupe Musahi-kai dans les dernières années, les pratiquants étaient peu nombreux et éloignés les uns des autres, et quasiment tout le temps auto-didactes.

Un dernier point : au tout début de cet article, j’ai dit que j’avais délibérément évité une discussion sérieuse sur le kendo nito-ryu ces dernières années. La raison à cela n’est pas mon manque d’intérêt, mais parce que je pensais que j’allais recevoir des plaintes de la part de pratiquants de nito-ryu qui n’apprécieraient pas mon analyse. La réalité est que, d’un point de vue historique, les choses se sont passées de manière aussi directe que décrite plus haut.

Personnellement, je suis content que le nito-ryu s’organise de plus en plus, devenant moins aléatoire que par le passé. Il ajoute quelque chose d’intéressant, et je suis heureux de pratiquer le keiko avec des amis adeptes du nito dès que je le peux, parce que cela m’aide dans mon propre shugyo.