Kendo World 6.2 (Kendo World Volume 6) (Alexander Bennett) – traduit de l’anglais par Roland Haroutiounian.

Ecrit par Robert D. Stroud , 10 avril 2005, pour compléter la section écrite des exigences de l’examen pour le rang de 7e dan de kendo. Dans cet article, le concept  de san-satsu-hō (san-sappō) va être expliqué, suivi du mittsu-no-sen, et enfin la façon dont ces deux concepts peuvent être liés et utilisés dans le keiko.

1, Qu’est-ce que San-satsu-hō ?

Prononcés correctement san-sappō, les trois kanjis japonais 三殺法” peuvent aussi être individuellement lus “san-satsu-hō”, ce qui donne literalement “san” = trois, “satsu” = tuer, et “hō” = méthode.

Ce concept est le principe du kendo le plus connu et le plus souvent décrit. En fait, san-sappō – tuer le ki, tuer le katana, tuer la technique – est célèbre en tant que “Principe Fondamental” de l’école Ittō-ryū.

Le terme kujiku (挫く) signifie luxer ou casser, comme dans “ashikubi wo kujiku” – luxer ou casser la cheville. Dans le Hokushin Ittō-ryū, le concept “mittsu-no-kujiki” (三つの挫き) a le même sens que san-sappō. Chiba Shūsaku a élaboré les trois concepts kujiki, puis les a énoncé de la manière suivante : “tachi wo koroshi” (太刀を殺し “tuer le sabre”), “waza wo koroshi” (業を殺し “tuer la technique”), et “ki wo koroshi” (気を殺す “tuer l’esprit”). Il est à noté ici que satsu et koroshi sont deux prononciations différentes du même kanji, signifiant “tuer”.

Dans la section sur le “san-sappō” de son livre « Kendō », Takano Sasaburō, un étudiant de l’école Nakanishi Ittō-ryū, a écrit : « Il existe trois façons de casser/tuer votre adversaire ». Dans son explication du san-sappō, il utilise invariablement satsu et kujiku.  Les trois concepts de kujiku sont les suivants :

Ken wo Korosu剣を殺す (Tuer le sabre de l’adversaire). Vous contrôlez le sabre de l’adversaire et anihilez sa capacité à utiliser sa technique de sabre contre vous. Vous lui ôtez la source de sa capacité à vous attaquer. Sans l’utilisation de son sabre l’adversaire ne peut ni attaquer ni se défendre. Le sabre de l’adversaire est contrôlé en le poussant latéralement, ou en utilisant une technique comme harai-otoshi, pour l’enlever de son axe d’attaque.

Waza wo Korosu技を殺す (Tuer la technique de l’adversaire). Empêcher votre d’adversaire d’exécuter sa technique en le testant constamment avant qu’il ne soit en mesure de s’installer et d’initier une attaque. « Tuer » la technique d’un adversaire signifie le rendre incapable d’utiliser sa technique en le forçant à se concentrer sur le fait de bloquer ou d’esquiver, en utilisant des attaques, en écartant son sabre ou en le repoussant fortement. Afin de presser votre adversaire dans ce but, vous devez également attaquer sans vous soucier de savoir si votre attaque va aboutir. Pressez toujours vers l’avant, avec une forte détermination et une intention claire, avec des déplacements forts et en utilisant le taiatari. Il ne doit pas y avoir de rupture dans vos actions.

Ki wo Korosu気を殺す (Tuer l’esprit de l’adversaire). L’adversaire devient anxieux du fait de votre forte volonté et de votre énergie. Ses doutes l’empêchent d’attaquer, et sa confusion vous permet de le défaire. Un attitude pleine de dignité et l’utilisation d’une conviction forte à attaquer vont pousser l’adversaire à se poser des questions sur sa propre capacité à vous battre. Pour y arriver, il faut pratiquer continuellement dans l’optique de montrer à l’adversaire une meilleure vision des opportunités, une plus grande dextérité, et une confiance en soi plus forte.

2. Qu’est-ce que Mittsu no Sen ?

Sen” () est défini comme “antérieur, procéder, mener, pointe”. Dans le kendo, il est utilisé pour expliquer les méthodes pour gérer les actions de l’adversaire. Le terme “mener” est très proche de l’utilisation de sen dans le kendo, de la même façon qu’un boxeur “mène avec sa droite et frappe sur sa gauche ».

Mittsu no sen” (三つの先) est un ensemble complet de “sen” couvrant les diverses situations qu’un adversaire peut proposer. En relation avec l’adversaire, il y a un avant, un pendant et un après “sen”. On appelle respectivement ces temps sensen-no-sen, sen-no-sen, et go-no-sen. Cet enseignement est également issu de l’école Ittō-ryū.

Le premier, sensen-no-sen (先々の先) est ”l’avant-sen”. C’est la situation dans laquelle l’adversaire est sur le point de bouger et une attaque est lancée intuitivement avant qu’il n’initie son mouvement. On le contrôle ainsi avant qu’il ne puisse attaquer. Il y est fait référence comme étant “kakari-no-sen” (懸の先) dans le chapitre « Feu » du Traité des Cinq Roues (Gorin-no-Sho) de Musashi. Dans la traduction de Thomas Cleary, il fait référence à ce moment comme la première « préemption » — préemption d’un état de suspension. Vous restez calme et silencieux, puis passez au-delà du timing de votre adversaire en attaquant soudainement.

Le sen suivant est appelé sen-no-sen” (先の先). Il est utilisé quand l’adversaire est au milieu de son attaque. Vous vous joignez à l’attaque qu’il a déjà commencée, prenez le contrôle et délivrez une contre-attaque. Ce concept de l’école Ittō-ryū est aussi appelé “senzen-no-sen” (先前の先).

Le troisième concept est “go-no-sen” (後の先). Il s’agit de recevoir l’attaque et de la contrer. C’est la situation dans laquelle l’adversaire a déjà engagé son corps et son esprit dans son attaque, mais n’est pas encore au moment où il l’a terminée. Musashi a appelé ceci “tai-no-sen” (待の先), ou “sen d’attente”. D’autres utilisent le terme “sengo-no-sen” (先後の先) pour cette situation. Dans la traduction du Gorin-no-Sho faite par Thomas Cleary, il l’appelle “préemption d’un état d’attente.” Il met l’accent sur deux points concernant tai-no-sen. Premièrement, quand l’adversaire vient à vous, ne réagissez pas mais paraissez faible ; puis, alors qu’il s’approche, attaquez avec force. Il écrit aussi, “. . . rencontrez son attaque, quand vous sentez un changement dans son rythme, vous pouvez remporter la victoire.” Musashi a aussi écrit à propos du “taitai-no-sen” (体々の先, un sen au corps-à-corps). C’est la préemption dans un état de confrontation mutuelle. Je vois une similitude entre taitai-no-sen, et sen-no-sen, mais ne trouve pas assez de ressources pour appuyer ce propos dans la litérature anglophone disponible sur le sujet. Les deux se réfèrent à une action simultanée, et paraissent donc très proches dans leur signification, si ce n’est identiques.

3. Comment San-Sappō est relié à Mittsu-no-Sen ?

Il est aisé, même pour le pratiquant le plus inexpérimenté, de comprendre que dans une opposition, chaque nouvel adversaire présente une situation différente. Donc, le point de départ de tout combat est un état de disponibilité flexible. Bien qu’un esprit indomptable, une compétence technique forte, et des capacités physiques soient tous nécessaires pour vaincre un adversaire, ils ne peuvent être appliqués uniformément à toutes les situations. C’est la manière avec laquelle vous établissez le lien avec votre opposant qui compte pour beaucoup.

Quand vous entrez dans un combat, il est important de le faire avec détermination, mais avant de décider de la manière d’approcher chaque opposant, vous devez comprendre comment vos compétences peuvent être utilisées avec celui-ci. S’il est rapide et puissant, il faudra agir différemment par rapport à un opposant plus souple et faisant preuve de retenue. Au début du combat au point de rei, votre esprit doit se focaliser sur la manière dont l’adversaire se présente. De vous-même, il doit percevoir une détermination de fer et une forte conviction de la victoire. Mais il ne doit pas percevoir d’excès de confiance. De multiples manières, le concept de « mushin » (無心, esprit vide) vous permettra de répondre correctement à tout adversaire. Dans le combat, en commençant par mushin, vous allez vouloir posséder la capacité d’appliquer les trois satsu, le san-sappō, tuer son sabre, son esprit et sa technique en utilisant les opportunités amenés par les trois sen.

Concrètement, de quoi dépend le déroulement d’un combat? En s’entrainant proprement et en ayant un ensemble complet de compétences et une confiance à les utiliser contre l’adversaire, le succès va arriver à mesure que le combat progresse. Les difficultés vont survenir quand on va forcer le timing ou  s’approcher pour frapper son adversaire. Une disponibilité de tout instant et une stabilité venant de l’état d’esprit mushin vont ouvrir la voie à la défaite de l’opposant.

Il y a beaucoup d’exemples illustrant la manière dont cela se produit. Si votre adversaire est faible et attaque lentement, le sensen-no-sen peut être utilisé avec efficacité avec le ki wo korosu ; mais dans la même situation un opposant avec une attaque forte et un timing lent nécessiterait plus d’utilisation du ken wo korosu.

Cependant, définir une stratégie type à cette interaction est trop mécanique et artificielle pour décrire correctement la relation entre la manière dont vous attaquez et le moment où vous le faites. Les san-sappō sont tous utilisés pour battre chaque adversaire, mais avec plus ou moins d’importance en fonction des exigences du combat en cours.

Dans sensen-no-sen, vous battez votre adversaire principalement par l’attaque. Cette situation nécessite de votre part une pression mentale forte sur celui-ci, puis l’utilisation de ken wo korosu pour déplacer son sabre hors de votre axe d’attaque. Vous pourriez aussi utiliser sensen-no-sen avec waza wo korosu pour détruire son attaque avant qu’elle ne commence, par exemple avec un renzoku-waza direct (attaques multiples).

Dans la situation sen, il y a une nécessité à attaquer au même moment que son adversaire, mais de finir avant lui. Une situation à considérer serait d’utiliser ken wo korosu en frappant fortement le men sur son attaque de men. Parce que vous frappez fortement et passez dans l’axe de son attaque, vous tuez son sabre et son attaque, qui devient alors une chance pour vous de réaliser le ippon.

La dernière situation, go-no-sen, présente beaucoup d’opportunités pour l’utilisation des trois kujiki. Ici, vous n’avez nullement besoin de vous précipiter ou de surpasser la vitesse de votre adversaire. C’est plutôt votre kamae fort, votre disponibilité et votre attitude mentale qui vont vous donner le temps de gérer ce que fait l’adversaire, parce que vous êtes prêt à attaquer, et qu’il sent qu’il ne peut le faire facilement. Vous utilisez votre ki pour tuer son ki (ki wo korosu). Quand il attaque, vous pouvez alors exécuter kaeshi, suriage, nuki, ou uchi-otoshi pour tuer son sabre – ken wo korosu – et, sans arrêter votre action, la technique que vous avez utilisé contre lui devient l’attaque qui va le battre. Vous avez tuer sa technique (waza wo korosu).

En résumé, il faut noter que durant tout combat, il y aura toujours une combinaison d’instants, et des méthodes utilisées pour battre son adversaire. Le lien entre les deux combattants détermine exactement la manière d’appliquer ces concepts. Seul un entrainement assidu et ciblé peut amener les pratiquants de kendo à faire de ces concepts une part d’eux-mêmes, utiles dans toute situation et contre tout adversaire.